Argumentaire GSsA

On ne sait jamais...

Jusqu’en 1989 on pensait «savoir»: Les Russes auraient attaqué l’Europe occidentale à la première occasion et l’armée suisse devait veiller à ce que notre petit pays soit épargné. Les discussions sur la première initiative pour l’abolition de l’armée ont démontré l’absurdité de cette hypothèse: une grande guerre en Europe aurait eu comme conséquence des destructions inouïes qui ne seraient pas arrêtées à la frontière suisse. L’accident du réacteur de Tchernobyl et la catastrophe chimique de Schweizerhalle ont mis en évidence qu’une guerre, même conduite avec des moyens «conventionnels», rendrait à terme notre continent inhabitable. Aujourd’hui la Suisse possède une armée plus grande que celles de l’Italie ou de l’Allemagne et plus de soldats que les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, le Portugal et l’Autriche réunis. Nous entretenons la défense nationale la plus chère par habitant de toute l’Europe. En d’autres termes:

L’armée d’aujourd’hui est un calmant pour les peurs de hier!

Entre-temps, le dernier résidu de menace militaire a disparu: aussi la commission Brunner a-t-elle constaté que «Les Etats pouvant à terme représenter un danger sont éloignés de notre pays et ne disposent pas des forces militaires conventionnelles de nature à nous menacer.» L’isolement défensif est dépassé. Ceux qui maintiennent la nécessité de l’armée comme assurance pour un nébuleux «cas d’urgence» mènent un combat d’arrière-garde. Nous ne pouvons pas mieux prévoir le futur que ceux qui cherchent à construire une politique en se basant sur la formule «on ne sait jamais ...». Mais nous constatons ce que font les militaires dans la réalité: aucune autre armée ne se prépare à une grande guerre défensive en Europe.

En revanche, si l’OTAN a abandonné depuis longtemps sa stratégie défensive pour adopter une approche d’intervention globale, il ne faut pas se laisser tromper: tous les discours sur la solidarité et la coopération ne transforment pas une alliance militaire basée sur la force armée en une institution de construction de la paix. Les mots attrayants sont là pour rendre à nouveau acceptable la vieille logique de défense des intérêts politiques et économiques par des moyens militaires. Le nouveau mythe du «contrôle militaire» des conflits a succédé à celui, désormais dépassé, de la «dissuasion militaire».

Entourée d’amis à l’extérieur et réduite au «chômage technique» à l’intérieur, l’armée cherche son salut dans le rapprochement avec l’OTAN: la «neutralité armée» est morte, vive la «solidarité armée»! Cela n’a évidemment rien à voir avec une vraie solidarité. Et cela ne contribue pas non plus à notre sécurité. Sauf si l’on pense que les alliances militaires occidentales se préoccupent effectivement de promouvoir la démocratie, le respect des droits humains et la réduction des inégalités économiques dans les pays de l’Est européen et du Sud de la planète. La vache sacrée suisse sort de son alpage au Gothard … mais pour se retrouver en compagnie des autres vaches dans l’étable de l’OTAN.

A l’insécurité d’aujourd’hui l’armée n’oppose rien d’autre que de faux réflexes!

Une discussion sur le futur de la politique de sécurité et de l’ouverture de la Suisse ne peut pas se limiter uniquement aux deux options militaires, proposées aujourd’hui, de l’isolement armé ou de l’adhésion à l’OTAN. Les initiatives du GSsA proposent une alternative: la solidarité civile au lieu des illusions de la défense militaire.

Les conflits représentent des défis cruciaux pour notre futur. Notre façon de les appréhender est déterminante. Le service civil volontaire pour la paix se fonde sur une constatation centrale: la gestion non violente des conflits conduit à des solutions qui sont acceptables pour toutes les parties. C’est uniquement de cette façon que l’on obtient, plutôt qu’un fragile cessez-le-feu, une paix durable fondée sur la justice. Avec le SCP, la Suisse crée un nouvel instrument politique qui permettrait de sortir de l’impasse de l’intervention militaire, en offrant de nouvelles possibilités pour une politique de paix constructive. Plus ces possibilités seront développées et mieux cela sera.

La bonne réponse aux défis de demain: un service civil pour la paix plutôt qu’une armée!


12 arguments pour l'abolition de l'armée

Une Suisse sans armée: de quoi s'agit-il?

L'initiative en bref

L'armée est abolie. Ses tâches civiles sont transférées aux autorités civiles. La Confédération soutient la reconversion civile des emplois liés à l'armée et soutient les régions touchées. L'acceptation de l'initiative ne permettrait une participation armée à des efforts internationaux pour la paix en dehors de la Suisse qu'à condition qu'un projet de loi ultérieur, qui en fixerait les principes et les modalités, soit accepté par le peuple.


Aide en cas de catastrophe

L’armée est-elle une aide lors de catastrophes?

L’armée mériterait depuis longtemps de figurer dans le Guinness des records, sous la rubrique «équipe de nettoyage la plus chère au monde». Que les militaires utilisent des soldats déblayant la boue pour soigner l’image de l’armée n’est pas nouveau. Mais ils semblent avoir oublié une chose: le fait que des soldats sachent aussi manier une pelle ne justifie pas l’existence d’une armée.

Un oubli récent: lors des inondations dévastatrices en Suisse centrale en 1987, l’ancien divisionnaire Alfred Stutz constatait: «il ne faut pas essayer de prouver la nécessité d’une armée aux effectifs trois-cent fois plus nombreux, juste parce que quelques compagnies et bataillons s’avèrent utiles lors des travaux de déblaiement». On pourrait objecter avec raison, ajoutait Stutz, que «un ou deux bataillons d’aide en cas de catastrophe spécialisés, permanents et non-armés seraient bien plus efficaces».

Aujourd’hui aussi, l’aide en cas de catastrophe de l’armée suisse est avant tout un alibi. En 1996, 2300 jours de service ont été consacrés à l’aide en cas de catastrophe, ce qui représente 0,03% du total des sept millions de jours de service accomplis en 1996. La moyenne de ces dernières années se situe en dessous de 0,5%.

L’armée s’approprie à cet effet des moyens nécessaires aux structures civiles prévues pour l’aide en cas de catastrophe. Il n’est donc pas surprenant que, par exemple, les pompiers français aient vivement protesté contre l’exercice de catastrophe effectué en Haute-Savoie en octobre 1997 par des soldats suisses et français. Le corps suisse d’aide en cas de catastrophe, qui accomplit un excellent travail lors d’interventions internationales, a dû lui aussi se sentir dupé. De même, lors de la récente catastrophe naturelle à Sachseln, l’engagement de soldats du train était en concurrence directe avec l’industrie du bâtiment et des transports locaux, qui étaient mieux équipés et qui se seraient réjouis des commandes.

L’initiative «pour une politique de sécurité crédible et une Suisse sans armée» tient compte de cette réalité: elle exige que les missions civiles pour lesquelles l’armée voudrait se profiler soient assumées par les autorités civiles compétentes.

Il y a suffisamment d’alternatives à l’aide militaire en cas de catastrophe. Dans sa course à un petit bout de légitimation pour son appareil militaire absurde, l’armée gaspille inutilement l’argent des contribuables. Les pompiers, le corps suisse d’aide en cas de catastrophe et d’autres infrastructures civiles peuvent remplir cette mission de manière bien plus efficace.


Coûts de la défense nationale

10 milliards de francs en 1998

C’est vrai: suite à la crise économique et à la montée des coûts sociaux, la part de la défense nationale dans les dépenses de la Confédération, des cantons et des communes a baissé de 7,7% en 1990 à 5,6% en 1995. Le gâchis reste toutefois énorme. De 1990 (6,9 milliards) à 1997 (6,2 milliards) les contribuables ont versé plus de 53 milliards de francs pour la défense nationale.1 Il y en aurait eu assez pour percer les nouvelles transversales alpines, boucher le déficit du budget fédéral, sans parler de l’introduction de l’assurance-maternité. Mais les 6 milliards de francs que nous payerons en 1998, malgré toutes les réductions annoncées, représentent moins des deux tiers des coûts globaux de la défense nationale.

Les coûts indirects

Aux dépenses directes des collectivités publiques il faut ajouter les coûts indirects (environ 4 milliards de francs pour 1998). C’est l’économie en général qui supporte les coûts des absences du travail pour le service militaire ainsi que les coûts d’opportunité engendrés par l’affectation militaire des terrains occupés par l’armée, par les réserves de guerre, par une partie des subventions à l’agriculture ou encore par les dépenses des privés pour la construction d’abris antiatomiques. Plus de 7 millions de jours de service accomplis en 1996 ont occasionné plus de 1,5 milliards de francs de coûts non indemnisés. Cela constitue un handicap grave pour la compétitivité de l’économie privée. Au total, entre 1990 et 1997, l’économie en général a ainsi supporté des coûts que l’on peut estimer à 45 milliards de francs environ.2

L’armée professionnelle n’est pas moins chère pour le contribuable

De l’avis unanime des experts militaires, une armée professionnelle aux effectifs réduits serait tout aussi chère. C’est vrai pour ce qui concerne les finances publiques. Mais les réductions des effectifs diminuent fortement la subvention de l’économie (les coûts indirects). Voilà pourquoi l’économie est tellement favorable à la professionnalisation: la défense nationale serait alors entièrement à la charge de l’Etat. Ici aussi, certains voudraient «socialiser» les coûts et «privatiser» les bénéfices. Cette tendance est confirmée par la dernière diminution des effectifs annoncée début février 1998: avec une baisse de 10% des effectifs, le Département de la défense prévoit d’économiser seulement 20 millions de Fr. par année, soit environ 0,4% de son budget. En revanche, une réduction de 10% des jours de service militaire permet à l’économie de réduire sa subvention aux coûts globaux de la défense nationale d’environ 200 millions de francs. L’armée de milice est en concurrence directe avec l’économie privée ce qui coûte de plus en plus cher à l’armée. Pour attirer plus d’officiers dans ses services, le département de M. Ogi a décidé de dépenser 50 millions supplémentaires afin d’augmenter la paie des gradés. Il faut se serrer la ceinture,…mais pas les ceinturons!

1 Y compris les dépenses pour la Protection civile et l’assurance militaire.

2 Pour la méthode de calcul, voir A. Schoenberger et F. Artigot, «Combien coûte la défense nationale en Suisse?», in: J.-J. Langendorf (s. dir.), Armée 2001, Georg, Genève, 1995, pp. 275-302.


Europe

Avons-nous besoin d’une armée pour rentrer dans l’Europe?

L’Europe est déjà surarmée. Les arsenaux nucléaires américain, français et anglais sont toujours en place. Dans le traité d’Amsterdam de 1997 (traité de Maastricht II) l’Union européenne cherche à intégrer l’alliance militaire de l’UEO (Union de l’Europe occidentale) dans sa «politique étrangère et de sécurité commune» (PESC). Cela marque le début de la militarisation de l’Union européenne. Pourtant l’art. 17 du traité d’Amsterdam affirme aussi que «La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, ...». Bien sûr, cette clause sert avant tout à ménager les Etats qui tiennent à la primauté de l’OTAN au niveau militaire en Europe, mais elle illustre aussi la présence dans l’Union européenne de pays qui n’adhèrent pas à l’OTAN, qui n’ont qu’un statut d’observateur à l’UEO et qui entendent garder leur statut de neutralité (Autriche, Suède, Finlande et Irlande). Le Rapport Brunner le confirme: «Notre commission a pu constater à l’occasion de ses entretiens à Bruxelles que, si la finalité d’une politique étrangère et de sécurité commune demeure, on ne peut pas s’attendre à la mise en place d’une structure militaire européenne dans des délais rapprochés». L’Union européenne ne fixe pas non plus de «critères minimaux» dans le domaine militaire comme elle le fait par exemple dans le domaine monétaire pour l’adhésion à la monnaie unique.

En adhérant à l’Europe, une Suisse sans armée serait appelée à contribuer avec des moyens civils aux objectifs de la politique étrangère et de sécurité européenne. Parmi ceux-ci il y a aussi «la promotion de la coopération internationale, le développement et le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales». C’est justement dans ces domaines qu’une Suisse démilitarisée et active dans une politique de paix solidaire pourrait apporter une contribution importante. Pour réaliser ces objectifs, l’Europe n’a pas besoin ni des F/A-18 ni des chars Léopard II helvétiques.

Les armées européennes sont en surnombre. L’adhésion à l’Europe d’une Suisse sans armée, qui s’engage sérieusement pour le désarmement et pour une politique de paix avec des moyens civils, pourrait apporter une contribution bien plus utile pour le développement de la démocratie et de la paix.


Interventionnisme

L’OTAN garantit-elle la paix?

Au moment de la dissolution du pacte de Varsovie, l’OTAN aurait dû, à son tour, mettre fin à ses jours. Non seulement, elle ne l’a pas fait: avec le lancement du «Partenariat pour la Paix» c’est à une réadaptation de sa logique militaire qu’elle s’est attelée. En effet, «le Partenariat pour la Paix est l’écran de fumée derrière lequel l’on a pu occulter les divergences politiques internes d’une alliance (...) qui risquait de tomber dans l’insignifiance; tôt ou tard le Congrès américain allait questionner le but d’une alliance militaire conçue contre un ennemi qui n’existe plus.»1

Ainsi, l’OTAN s’est muée en quelques années d’instrument de dissuasion en outil d’intervention. Désormais, les Etats membres analysent les situations de conflit uniquement à l’aune de leurs principaux intérêts, ainsi que le confirme sans détours M. Clinton dans un ducument de début 1995: «la défense du bien-être économique des Etats-Unis» peut rendre nécessaire «le recours déterminé et unilatéral à la force militaire». En mars 1996, son conseiller en matière de sécurité Anthony Blake motivait l’emploi de la force militaire avec le fait que «la plupart des Américains considèrent la défense des intérêts économiques comme la tâche la plus importante de notre engagement international».

Par ailleurs, cette nouvelle conception entraîne d’importants bénéfices sur le plan économique. Par exemple, l’élargissement de l’Alliance à la Pologne, à la Tchéquie et à la Hongrie devrait rapporter, d’après le Congrès américain, entre 61 et 125 milliards de dollars car ces pays doivent renouveler entièrement leurs systèmes d’armements pour les rendre compatibles avec ceux de l’OTAN.

Cependant, une telle opération se doit d’être enrobée, drapée d’habits nouveaux. Ainsi, un document interne de l’OTAN daté du printemps 1993 insiste sur la nécessité de frapper toute nouvelle initiative militaire du label humanitaire, voire pacifiste (Peace support). De la même manière, la constitution de bataillons européens intégrés se doit d’arborer l’étendard de la «construction européenne». L’OTAN comme instrument de «consolidation de la démocratie»? Ce n’était pas vrai dans le passé, avec des Etats membres dictatoriaux comme le Portugal de Salazar et la Grèce des colonels ou avec l’armée secrète «Gladio» qui devait empêcher les partis communistes occidentaux d’accéder au pouvoir démocratiquement, et ce n’est pas vrai aujourd’hui, à moins de considérer la Turquie par exemple comme un modèle de démocratie respectueuse des droits humains...

La cosmétique a pourtant ses limites: ce ne sont pas les belles paroles sur la «solidarité», la «coopération» ou la «sécurité collective» qui peuvent transformer une machine de guerre en outil de paix et de promotion de la démocratie.

Non, l'OTAN n'a rien à voir avec la paix.

Les déclarations d'intentions, les belles paroles ne cachent que la volonté de défendre des intérêts particuliers au moyen d'instruments militaires.

1 Jonathan Eyal, directeur du «Royal United Services Institute for Defence Studies» de Londres, in «NATO’s enlargement:anatomy of a decision», International Affairs, vol. 73, No.4, oct. 1997, pp. 695-719.


Missions armées pour la paix

La Suisse doit-elle participer à des activités internationales armées en faveur de la paix?

Les interventions armées n’apportent pas «la solution» aux conflits. Mais, dans certaines conditions, des «engagements de maintien de la paix» (Peace Keeping) de la part d’unités multinationales peuvent contribuer à faire cesser des affrontements violents. D’abord ces interventions ne doivent en aucun cas être l’expression de la poursuite d’intérêts nationaux des Etats participants: elles doivent se baser sur le droit international. Ensuite, elles doivent s’effectuer dans le cadre d’un plan politique pour la paix largement appuyé; en d’autres termes avec l’accord des parties en conflit. Dans certains cas, l’ONU a vu de tels efforts couronnés de succès. Par exemple au Salvador: depuis juillet 1991 une mission avant tout civile de l’ONU a réussi à consolider un processus de paix difficile, après une guerre civile qui avait duré des décennies, avec seulement 300 policiers légèrement armés et pour un coût de 24 millions de dollars par année.

La Suisse doit contribuer à ce type d’approche de solution des conflits. Mais pour cela il n’y a besoin ni d’armée ni d’un «Corps Suisse de solidarité» composé de militaires. Selon l’avis unanime des experts, ces «bataillons de paix» sont déjà largement en surnombre actuellement. En revanche, ce qui manque c’est la volonté politique de travailler à la construction d’un ordre juridique international équitable et de mettre en place les instruments nécessaires pour le faire appliquer. L’un des derniers exemples en date du dysfonctionnement actuel est le refus, de la part de hauts officiers français de la FORPRONU en Bosnie, de témoigner au Tribunal international de la Haye contre les criminels de guerre.

L’acceptation de l’initiative pour l’abolition de l’armée, amènerait la Suisse à s’engager beaucoup plus activement pour la construction d’un ordre juridique international équitable et qui vise à faire respecter prioritairement les droits humains. C’est pourquoi l’initiative n’exclut pas la possibilité pour la Suisse d’y contribuer aussi avec des instruments de contrainte. Toutefois les objectifs et les modalités d’une contribution dans ce domaine avec du personnel armé sont soumises à une acceptation préalable en votation populaire (Art. 17, alinéa 2 de l’initiative).

Le GSsA ne demande pas d’interventions armées. Mais nous ne voulons pas exclure pour toujours qu’une ONU plus démocratique obtienne des moyens de coercition pour faire appliquer des droits fondamentaux reconnus universellement.


Nouvelles menaces

L’armée entend nous protéger contre tout et n’importe quoi ...

La Suisse n’est plus menacée militairement - ni aujourd’hui, ni demain, ni même après-demain. Personne ne prétend le contraire: un commandant de corps et chef de l’armée explique que l’armée ne doit «évidemment plus être apte à la guerre». Le Conseil fédéral confirme officiellement que «la capacité à mener une guerre et défendre le pays contre des attaques de l’extérieur» ne figure plus «au premier plan». Même le ministre de la défense Ogi l’avoue: «Il n’y a aucun ennemi en vue pour l’Europe centrale». Le rapport (paru en février 1998) de la commission d’étude des questions stratégiques («commission Brunner»), mise sur pied par M. Ogi, le confirme: «Les Etats pouvant à terme représenter un danger sont éloignés de notre pays et ne disposent pas des forces militaires conventionnelles de nature à nous menacer.»

Encerclée d’amis et privée de son ennemi préféré venu de l’Est, l’armée est en pleine crise existentielle. Aussi son mot d’ordre est-il: faire les propositions les plus diverses sur tout ce qui pourrait servir de base de travail - et avec toutes les justifications possibles et imaginables. Et pour ce faire, aucun scénario de menaces n’est trop mauvais à ses yeux.

Le rapport de la commission Brunner fait énumère toutes sortes de menaces: «missiles, (...) catastrophes naturelles et technologiques transfronta-lières (...) crime organisé (...) commerce des armes, de la drogue, de la prostitution et des personnes, le blanchiment d’argent, le racket et toutes les formes de la corruption. (...) “mafias” (...) Terrorisme (...) groupes militants et extrémistes qui recourent à la violence pour atteindre leurs objectifs politiques. (...) Prolifération des armes atomiques, biologiques et chimiques (...) “valises atomiques” (...) pressions internationales (...) perturbations dans le domaine de l’informatique (...) écoute illicite, espionnage, lntroduction clandestine de fausses informations et dérangement des systèmes informatiques en place. (...) informations manipulées (...) Désordres, conflits intérieurs (...) groupes étrangers aux activités militantes, organisations mafieuses et bandes criminelles en Suisse (...) confrontations entre de tels groupes et avec des organisations de défense de citoyens (...) Flux migratoires non contrôlés (...) pressions économiques (boycotts, pressions, sabotages, corruption, etc.) (...) troubles et menaces intérieurs.»

On peut discuter de l’importance de ces menaces, mais une chose est certaine: ce n’est pas l’armée qui empêche leur existence. Ce qui est inacceptable, c’est que l’on continue à présenter l’armée comme instrument nécessaire pour faire face à ces menaces si elles devenaient «sérieuses». Sérieuses? Nos gouvernants essayent de démontrer la nécessité de l’armée à la moindre occasion. Lors de l’escalade du conflit en Kosove, au mois de mars 1998, le Conseil fédéral a autorisé le déploiement de 80 militaires supplémentaires à la frontière entre le Tessin et l’Italie pour faire face à l’afflux de réfugiés. «Les services de la police frontière devraient être renforcés selon les besoins, même par des moyens militaires dans des situations extraordinaires», dit bien le rapport Brunner. Il y a fort à parier qu’on assisterait au même empressement en cas de troubles intérieurs, bien sûr, seulement «dans les cas où les forces de police cantonales seraient manifestement insuffisantes» comme le suggère le rapport, qui ajoute, sur ce point que «dans le cas de missions plus “chaudes”, supposant des interventions par la force, il est préférable de disposer de professionnels rompus à ce type d’exercices, des policiers en première ligne, éventuellement de militaires provenant des entités professionnelles à créer».

La Suisse n’est plus menacée militairement. L’armée se propose comme salut contre toutes les menaces possibles et impossibles. Mais ce qui nous menace ainsi c’est une militarisation accrue de notre société.


Ordre intérieur

L’armée comme instrument du maintien de l’ordre intérieur?

Par une nouvelle ordonnance, le Conseil Fédéral a renforcé en 1997 les compétences de police intérieure de l’armée. De nouveaux bataillons spécialement entraînés et équipés -grenades lacrymogènes, matraques, menottes- ont ainsi été créés. Les bataillons territoriaux reçoivent également la formation à ces tâches dites de «routine», notamment dans le cadre d’exercices prévoyant l’intervention contre des chômeurs ou encore contre des paysans en colère.

La répression militaire des conflits sociaux empêche la recherche de solutions négociées. La répression militaire n’a rendu que plus violents et sanglants les conflits en Algérie ou en Irlande du Nord.

Le renforcement des tâches de police de l’armée n’est pas seulement dangereux, il est aussi superflu. D’abord, comme le fait remarquer le commandant de la police cantonale zurichoise, Peter Grütter, le fédéralisme crée en Suisse un excédent d’offre en matière de forces de répression. Aujourd’hui, le nombre de policiers spécialement formés à travers tout le pays est de 14’000 dont 7’500 peuvent être mobilisés pour des tâches de service d’ordre et 800 forment le corps des spécialistes de «l’antiterrorisme». En gros, cela représente le double des effectifs prévus à cet effet en Autriche et un peu plus de la moitié de ce que compte l’Allemagne. Toujours selon M. Grütter, «pour cette raison, la police civile ne peut être dépendante de troupes de grenadiers». C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les cercles proches de la police refusent fondamentalement la mise sur pied de ces corps militarisés semi-professionnels.

D’autre part, le contraste est saisissant entre le zèle déployé pour doter l’armée de nouveaux instruments destinés à des tâches de police et les moyens mis à disposition de la police civile. Par exemple, la police cantonale zurichoise aurait besoin d’environ 100 nouveaux postes. De même, alors que l’on envoie des troupes aux frontières tessinoises, le corps des gardes-frontière est soumis, lui aussi, aux restrictions actuelles quant à l’embauche de personnel dans l’administration fédérale.

Dès lors que l’armée elle-même ne croit plus à son rôle de garant de l’indépendance nationale, elle veut prendre en charge de plus en plus d’autres tâches, assurées jusqu’ici par des institutions civiles. C’est une évolution que rien ne justifie et surtout très inquiétante pour un Etat démocratique.


Partenariat

La Suisse bientôt membre à part entière de l’OTAN ?

Adolf Ogi affirme que «grâce à l’adhésion au Partenariat pour la paix de l’OTAN, la politique extérieure de la Suisse a accompli un pas décisif». Oui, mais dans quelle direction?

Si pour le moment, la collaboration avec l’Alliance atlantique se limite au domaine de la formation, la question des formes qu’elle pourrait prendre dans un proche avenir est loin d’être réglée. En effet, si d’un côté la commission Brunner prône une collaboration accrue mais non mieux définie avec l’OTAN, certains réformateurs de l’armée, à l’instar de l’ancien conseiller aux Etats Otto Schoch, plaident pour une adhésion rapide à l’Alliance.

De son côté, la presse alémanique fait état d’estimations d’un «expert britannique» selon lequel cette intégration pourrait se faire rapidement à l’aide d’une «petite armée professionnelle formée de quelques 25’000 hommes, qui serait appelée à soutenir des actions de police internationale»1 et dont le coût annuel serait de 2,5 milliards de francs. Pour honorer la tradition, une armée de milice composée de 300’000 hommes serait également maintenue!

Mais l’option de l’adhésion à l’OTAN n’est pas le seul fait des «réformateurs». A l’opposé de l’échiquier militaire, l’ancien théoricien de la défense autonome de la Suisse, le divisionnaire Gustave Däniker se prononce également et sans états d’âme en faveur d’un «engagement total dans la coopération militaire internationale», pour ajouter aussitôt que celle-ci ne doit pas se faire au nom de concepts tels que la «solidarité» ou «l’humanitaire» mais en fonction de la «défense de nos intérêts prioritaires».

Cette marche l’intégration à l’OTAN ne relève pas que du fantasme militaire. De fait, l’armée nouvelle dispose déjà d’un certain nombre d’instruments qui la rendent compatible avec l’OTAN et s’apprête à s’en offrir d’autres. En effet, si d’un côté le F/A-18 avait été le cadeau offert par Kaspar Villiger à la vieille garde militaire, le nouvel et chérissime avion de combat est aussi, par ses potentialités, parfaitement compatible avec des opérations de police communes dans le ciel européen. Autrement dit, ainsi que l’affirment les spécialistes de la politique de défense de la Neue Zürcher Zeitung2, la coopération avec l’OTAN est la seule légitimation possible d’une armée qui n’aurait autrement aucune raison d’exister.

Présentée comme une forme d’ouverture sur le monde, l’adhésion à l’OTAN - qui n’est aux yeux de la hiérarchie militaire et du Conseil fédéral, qu’une question de temps - est en fait une fermeture: c’est maintenir la Suisse dans une conception exclusivement militaire de la sécurité, au lieu de l’ouvrir, par le désarmement, à une logique de paix et de solidarité internationale.

1 Weltwoche, 5.3.98.

2 Bruno Lezzi, NZZ du 22.9.97.


Réformes

La «vache sacrée» s’abolira-t-elle d’elle même?

L’armée s’est incrustée pendant cinquante ans dans le Réduit des Alpes. Depuis là-haut elle défendait l’image d’une Suisse heureuse au milieu d’un monde menaçant. Mais même les mythes les plus tenaces ne sont pas éternels. Depuis 1989 les restructurations et les lignes directrices de la politique de sécurité se succèdent. Après «Armée 95» c’est au tour d’«Armée 200x». Quels sont les vrais enjeux de ces réformes? Après la perte du mythe de la défense militaire, l’armée a besoin de nouvelles légitimations. D’un coup on doit pouvoir engager l’armée pour toute sorte de tâches civiles, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Pour cela elle doit prendre un aspect moins lourd, plus flexible, plus professionnel et plus international. La vache n’étant plus sacrée, il lui faut donc un lifting.

Pour survivre, l’armée s’accroche à n’importe quel prétexte. Le rapport Brunner le montre encore une fois. La Suisse n’étant plus menacée militairement, il préconise les mesures suivantes:

La création des nouvelles «entités professionnelles» est qualifiée comme «prolongement logique de la pratique actuelle». Et pour la commission, cette nouvelle armée reste bien sûr l’une de nos «institutions démocratiques».

Dans le débat actuel sur la réforme de l’armée, on ne parle même pas de l’utilité ou non de l’armée. Pour les réformateurs, il suffit d’adapter l’armée à de nouvelles contingences. La perspective d’une politique de sécurité civile est encore absente.


Sécurité

L’armée contribue-t-elle à notre sécurité?

Aujourd’hui, nous avons affaire à un certain nombre de bombes à retardement sociales et écologiques. La Suisse connaît un chômage sans précédent dans l’après-guerre. L’économie est plongée dans une profonde récession. Les assurances sociales, qui ont garanti à la Suisse la prospérité et la stabilité pendant des décennies, sont en danger. La question de l’intégration européenne menace de diviser le pays. Le trafic et la consommation d’énergie continuent d’augmenter, et dans le même temps, les problèmes de pollution de l’air, de destruction des terres cultivables et le stockage des déchets nucléaires s’aggravent. Sans oublier que dans la vie quotidienne, beaucoup de femmes et d’enfants sont victimes, sous des formes diverses, de la violence exercée par des hommes.

Les antagonismes sociaux se renforcent également sur le plan mondial. Ensemble, 358 milliardaires sont plus riches que la moitié de la population mondiale. Les marchés financiers, qui ne rencontrent plus d’entraves, provoquent des conflits entre les nations qui échappent de plus en plus au pouvoir politique. Cette situation a déjà jeté des millions de personnes sur les routes de l’exil. Chaque semaine, un million d’êtres humains cherchent refuge dans les quartiers miséreux des grandes métropoles, celles du Tiers-monde particulièrement. La destruction de notre environnement - encore une cause des mouvements migratoires dans le monde - continue. La couche d’ozone se détériore et on déboise les forêts tropicales, poumons de la terre.

Contre tous ces dangers, l’armée ne peut rien. Et pourtant? Toujours plus de politiciens des pays riches du Nord mettent un nom simple sur les défis de l’avenir: le danger s’appellerait «instabilité». Et les armées de l’OTAN de prétendre qu’elles auront vite les choses sous contrôle. Dire que la sécurité est un enjeu qui dépasse de loin le cadre des Etats nationaux est déjà devenu un lieu commun. Actuellement, la question décisive est la suivante: la «sécurité» est-elle un défi politique ou militaire? La réponse des militaires selon laquelle la «sécurité collective» serait une affaire d’alliances militaires est fausse. La répression militaire n’éliminera jamais les causes de la violence, de l’insécurité et des troubles. Ces problèmes n’exigent ni armes ni discipline militaire, mais de l’imagination politique et de l’engagement citoyen.

Aujourd’hui, l’insécurité est avant tout une conséquence de la globalisation économique. Les tentatives de contrôle militaire ne feront à long terme qu’accentuer ces menaces. Pour aller à la racine des problèmes, il faut une approche nouvelle. La solidarité civile, qui vient de la base et qui transgresse les frontières étatiques et sociales, apporte à cela une contribution décisive.


Travail, emplois

Les places de travail liées à l’armée sont dans l’absolu les plus chères et les moins productives

Les coûts globaux de la défense nationale s’élèveront en 1998 à environ 10 milliards de francs. Les 28’000 emplois qui dépendent actuellement de l’armée (ils étaient 40’000 en 1990) ne produisent rien d’utile pour sortir la Suisse de la crise. Avec une fraction de ce que nous dépensons pour l’armée, nous pourrions créer beaucoup plus de places de travail bien plus utiles dans des domaines civils. Par exemple, avec les 561 millions du programme d’investissements dans la construction, décidé en 1997, la Confédération attend la création de 24’000 places de travail. Après l’acceptation de l’initiative «Pour une Suisse sans armée», la plupart des employés dans le domaine de la défense nationale auprès de la Confédération et des cantons pourrait garder sa place, car les stocks de matériel, les armes et munitions, les véhicules, les bâtiments, etc., devraient être affectés à des usages civils ou éliminés de façon respectueuse de l’environnement. L’élimination des nuisances environnementales provoquées par l’armée et la réaffectation de l’énorme propriété foncière du DDPS (Département de la défense, de la protection de la population et du sport) nécessiteront aussi de longues années.

L’économie privée et les entreprises fédérales d’armement ont déjà commencé une reconversion partielle de leurs activités liées à l’armée vers des domaines civils: élimination de vieux frigos, production de disques d’embrayage pour voitures, pièces d’Airbus, recyclage de batteries, .... Aujourd’hui déjà,les usines Pilatus de Stans veulent augmenter la part des produits destinés à usage civil de 25% à 50% de leur chiffre d’affaires. Enfin, il suffit de faire travailler un peu l’imagination et il y aurait une multitude de possibilités à réaliser. Par exemple, au lieu de fournir gratuitement un fusil d’assaut (bruyant et dangereux) à tout citoyen suisse, la Confédération pourrait doter chaque maison d’un panneau solaire permettant ainsi d’économiser des énergies non renouvelables. La production et l’installation donneraient du travail, la Suisse pourrait se projeter à la pointe du progrès technologique dans ce secteur et on pourrait même exporter une partie de la production sans avoir mauvaise conscience (contrairement aux exportations d’armes). L’initiative du GSsA demande expressément à la Confédération d’encourager la reconversion des activités économiques liées à l’armée vers une production civile et de soutenir les régions dont les emplois sont touchés.

L’abolition de l’armée déchargerait l’économie privée d’un fardeau de plusieurs milliards par année. Les pertes de productivité et les coûts de remplacement occasionnés par les périodes de service militaire des employés, les coûts liés au maintien des réserves de guerre, etc. constituent autant de handicaps pour la compétitivité de l’économie Suisse. Même les banques reconnaissent que l’armée est un non-sens du point de vue économique. Dans un rapport de l’Association des banquiers de 1994, il est dit textuellement: «La thèse selon laquelle l’armée crée des places de travail ne tient pas. Les mêmes moyens engagés autrement pourraient créer ou maintenir des places de travail de manière beaucoup plus efficace.»

Avec une fraction des dépenses militaires, nous pourrions créer beaucoup plus de places de travail bien plus utiles dans des domaines civils. La reconversion des places de travail liées à l’armée est possible si elle est soutenue par une volonté politique et par l’appui de l’Etat.


Virilité

Pas de vrais hommes sans école de recrue?

A l’armée, on apprend aux jeunes ce qu’il faut pour être un homme: force, endurance, honneur, discipline. Les émotions qui ne peuvent être transformées en action agressive n’y sont pas les bienvenues - elles sont plutôt considérées comme «féminines». Est considéré comme «viril» celui qui réprime en lui sensibilité, peur, tristesse et besoin d’affection. La rigueur des sentiments équivaut au courage héroïque.

Du point de vue de l’armée, les sentiments relèvent donc de la compétence des femmes. Et parce que les sentiments vont à l’encontre du métier guerrier, parce qu’ils dérangent l’ordre hiérarchique et pourraient même pousser à agir en responsabilité propre, on n’apprend pas seulement aux soldats comment se soumettre: ceux-ci apprennent également à marginaliser et à déprécier les femmes.

Ceci s’ exerce par de multiples rituels: des blagues sexistes, une discrimination systématique de l’homosexualité, l’esprit dirigeant masculin et la camaraderie, ou la sexualisation des armes. La caserne, qui sépare les jeunes hommes aussi physiquement de leurs contacts sociaux normaux et en particulier des femmes, offre le contexte approprié. La violence sexuelle s’exerce facilement lorsqu’on se sait protégé par l’uniforme. Les scandales autour de t-shirts misogynes ou d’exercices de tir sur des photos de femmes nues, qui ont porté l’armée suisse à la une des journaux régulièrement, en sont la preuve.

L’armée prétend protéger les femmes. Or, si l’on considère les femmes comme des êtres faibles et sans défense, on les voit en même temps comme des sujets faciles à conquérir. Elles deviennent champs de bataille où l’on peut humilier l’adversaire. Des viols en masse par les soldats et les groupes paramilitaires sont ainsi un phénomène typique de chaque guerre. Mais la vie des femmes n’est pas menacée seulement à l’arrivée des soldats ennemis. Lorsque la violence devient une part de l’identité masculine, elle produit ses effets aussi dans la vie de tous les jours: un rapport du gouvernement américain a confirmé le lien entre «violence domestique» et appartenance actuelle ou antérieure à l’armée américaine. Tandis qu’on continue à équiper l’armée, l’argent manque dans le secteur social, par exemple pour une assurance-maternité. L’indépendance économique serait pourtant une vraie contribution à la sécurité des femmes. Une conception militaire de la sécurité ne tient pas compte des menaces quotidiennes auxquelles les femmes sont exposées.

A l’armée, on pratique l’exercice et l’organisation de la violence masculine collective. L’abolition de l’armée contribue donc à établir des relations sans violence ni domination entre hommes et femmes.


Le SCP de A à Z

La solidarité crée la sécurité: de quoi s’agit-il?

L’initiative en bref

Le SCP peut en Suisse et à l’étranger, empêcher la violence dans les conflits entre personnes, groupes sociaux et populations. Il est distinct de l’actuel service civil (auquel n’ouvert qu’aux hommes déclarés aptes au service militaire, sans véritable libre choix). Une formation de base pour la gestion non-violente des conflits est ouverte à toute personne résidant en Suisse. Les femmes et les hommes qui auront suivi une formation plus approfondie et qui seront engagés dans le SCP collaborent, sur demande, avec des organisations locales et internationales pour prévenir les injustices qui sont source de conflits, pour faire respecter les droits humains, pour proposer des solutions civiles aux conflits de type violent, pour favoriser la reconstruction sociale et les processus de démocratisation. Les activités du SCP sont conçues par des organisations, gouvernementales ou non, qui possèdent une expérience sur ce terrain (organisations pour la paix, de promotion des droits de la femme, de défense de l’environnement, de soutien aux migrants, d’aide au développement).


Argent

Combien coûterait un SCP?

L’initiative du GSsA ne spécifie que les lignes directrices de l’offre de formation du SCP. Les programmes détaillés de la formation doivent être établis par des experts et s’adapter de manière flexible aux besoins changeants. On peut imaginer que les côuts de cette formation restent assez modérés. La formation de base prévue dans l’initiative, qui serait ouverte à toute personne résidant en Suisse, pourrait être offerte gratuitement dans le cadre de programmes scolaires à option. Plusieurs modèles sont imaginables pour les adultes, par exemple des cours du soir, ou des stages intensifs d’une semaine. Cela ne nécessiterait pas une grande bureaucratie, l’Etat n’organisant que ce qui n’est pas déjà offert par des associations privées.

Le travail professionnel pour la paix nécessite une formation plus approfondie. Un projet de SCP, qui prévoyait un engagement de 200 volontaires en Bosnie pour une période de deux ans, précédé d’une période de formation de quatre mois, a été discuté au Parlement allemand en 1996. Mais les parlementaires ont finalement estimé que les coûts prévus (30 millions de Marks) étaient trop élevés et ont préféré accorder 700 millions de Marks pour la participation de la Bundeswehr à l’intervention militaire de l’OTAN dans les Balkans.

Le projet de formation du SCP allemand a finalement été réalisé sous forme réduite par le «Land» allemand du Nordrhein-Westfalen. Avec environ 450’000 Frs. on a pu ainsi former quinze personnes qui participent à des engagements civils de prévention des conflits et reconstruction de la paix en ex-Yougoslavie. Qu’est-ce que cela représenterait pour la Suisse? Une comparaison peut donner une idée: avec les 50 millions de Frs. que le Conseiller fédéral Ogi a décidé, en février 1998, de dépenser pour augmenter la solde des officiers (16’450 francs supplémentaires pour chaque lieutenant, 22’500 de plus pour chaque capitaine) on aurait pu former 1666 travailleurs et travailleuses pour la paix qualifié-e-s. Ces derniers fournissent non seulement un travail bien plus utile, ils sont aussi beaucoup moins chers. D’après les estimations de Peace Brigades International (PBI) un «civiliste pour la paix» coûte environ le dixième d’un casque bleu engagé au même endroit.

Contrairement à l’armée, le SCP fournit non seulement un travail sensé, mais il est aussi nettement moins cher. L’initiative du GSsA soutient des approches déjà présentes dans la société civile. Son acceptation ne nécessite pas la création de toute une nouvelle bureaucratie.


Chaos

Est-ce le Nord, riche et puissant, qui doit assurer un «nouvel ordre mondial»?

Le nouveau discours militaire ne cesse d’insister sur la nature instable et dangereuse de l’époque que nous vivons. A ce titre, les drames du Rwanda, de la Bosnie, les conflits de Géorgie ou d’Arménie sont tout le temps montrés en exemple d’une conflictualité nouvelle qui se développerait désormais autour d’un seul et unique principe, celui de la guerre «ethnique».

Pourtant, l’explication de ces conflits est pour le moins plus complexe. En effet, alors qu’en 1989 le nombre de conflits en cours était de 36, il est encore de 29 aujourd’hui. Et parmi eux, les quatre cinquièmes plongent encore leurs racines dans la confrontation passée entre l’Est et l’Ouest.

D’autre part, les guerres actuelles ne sont pas plus «primitives» ou «irrationnelles» que celles d’hier. Comme naguère, elles recouvrent des dimensions multiples, aussi bien locales qu’internationales: volonté de pouvoir, intérêts économiques, préjugés culturels ou religieux. Partant, elles ne sont pas plus incompréhensibles que celles d’il y a dix ans.

Ou alors, incompréhensibles elles le sont dans la mesure où on voudrait les expliquer par une seule et unique cause. Extrêmement réductrice, une telle approche ne peut qu’apporter des réponses tout aussi simplistes, en premier lieu celle du recours à la force militaire. Or, contrairement à la «pacification» officiellement recherchée, au lieu de rétablir «l’ordre», celle-ci n’aboutit qu’à une complication accrue de ces situations dites incompréhensibles et à accroître le chaos, ainsi que l’a démontré l’intervention militaire en Somalie.

A contrario, l’intervention civile dans les situations propices aux conflits permet de saisir différemment des réalités multiples, des dimensions différentes et stimuler également la rencontre et la compréhension des différentes parties en conflit. C’est ce que le service civil permettrait de faire alors que, sur ce plan non plus, l’intervention armée n’a rien à offrir...

Les conflits actuels ne sont pas plus «ethniques» que les précédents, ni plus irrationnels. Ce qui est et demeure irrationnel, c’est l’interventionnisme des militaires. Le «nouvel ordre mondial» n’est que le nouveau visage de la domination séculaire du Sud par le Nord. Le SCP mise sur une compréhension approfondie des causes des conflits et sur la construction de la paix à travers la promotion de la justice et de la solidarité.


Formation

Peut-on «apprendre» la paix?

L’initiative pour un SCP demande le droit à une formation de base gratuite pour toute personne habitant en Suisse. Pour la transmission des connaissances de base dans la gestion non-violente des conflits, le SCP appuierait des organisations et institutions déjà existantes. Celles-ci pourraient être gouvernementales (par exemple des écoles, dans le cadre de l’instruction publique) ou non-gouvernementales (par exemple des organisations qui défendent les droits des femmes, des immigrés ou des salariés). C’est un fait que la violence physique (directe, entre personnes), structurelle (qui résulte de l’exclusion sociale, de l’exploitation économique) et la violence culturelle (par exemple la discrimination sexuelle ou raciale), existent aussi en Suisse. Ces formes de violence peuvent se manifester contre les femmes, les enfants, les étrangers, sur les lieux de travail, dans les familles ou à l’école. Se confronter avec ces situations de violence constitue le point de départ pour une meilleure compréhension des origines de la violence et des modèles de comportement qui en découlent. L’éducation à la paix permet d’une part de mieux connaître ces phénomènes et de l’autre, à travers des exercices, des jeux de rôle et d’autres techniques de communication, elle permet de faire l’expérience des dynamiques conduisant à la violence et de développer des comportements capables de la réduire. Ces expériences et les discussions qui s’ensuivent donnent lieu à des processus d’apprentissage: quel rôle jouent nos propres émotions dans les différends? Comment trouve-t-on des solutions dans des situations apparamment sans issue? Quelles possibilités de défense existent pour les plus faibles?

Là où elle existe, l’offre de formation dans ce domaine est très utilisée. Par exemple, le «Forum pour l’éducation à la Paix» de Saint-Gall offre des cours dans les domaines de prévention de la violence contre les enfants, de la violence quotidienne et de la xénophobie, de l’agression, ainsi que sur la gestion des conflits dans le travail des enseignant-e-s et des parents. Le «Programme œcuménique suisse pour la paix» propose une formation sur plusieurs semaines avec une partie pratique à la fin. Mais ces initiatives privées sont loin de couvrir l’ensemble des besoins. Le SCP veut combler ce manque.

Les engagements pour la paix ne nécessitent pas des recettes toutes faites, mais plutôt des personnes qui pensent et agissent de manière indépendante et adaptée aux situations. Pour cette raison les engagements concrets dans des situations de conflit nécessitent une formation professionnelle supplémentaire. Un programme de formation à la gestion civile des conflits d’une durée de trois mois et conçu par des associations pacifistes a été effectué en 1997 en Allemagne. Il était financé par le Land allemand du Nordrhein-Westfalen. Les quinze participants étaient engagés pour des d’interventions civiles, principalement en ex-Yougoslavie. Pour permettre des engagements qualifiés, l’initiative du GSsA prévoit une formation spécifique et continue.

Le travail pour la paix peut être appris. Par des exemples concrets, on se familiarise avec les modèles de comportement courants dans des situations de conflit et on exerce des comportements alternatifs. Le SCP garantit en plus la préparation professionnelle aux engagements sur le terrain.


Gestion des conflits

L’intervention non-violente dans les conflits armés est-elle une illusion?

La grande force du service civil pour la paix réside dans la reconnaissance rapide des potentiels de violence et dans la prévention de conflits armés. Même quand un conflit subit une escalade, il reste des possibilités d’intervention non-violente. Se rendre sur place et observer, accompagner, faire des rapports et former, voilà les méthodes éprouvées de la «désescalade», méthodes qui ont fait leurs preuves ces dernières années au sein d’organisations de la société civile. La seule présence d’observateurs/trices neutres et bien formés agrandit de façon décisive la marge de manoeuvre de ceux qui, sur place, luttent pour la paix. Par exemple, en organisant une trentaine de “camps civils de la paix”, une coalition suisse d’organisations non gouvernementales (ONG), CORSAM, contribue en commun avec l’Eglise et d’autres ONG internationales à ce que les espoirs de paix dans le conflit au Chiapas (Mexique) ne soient pas enterrés prématurément.

L’accompagnement de personnes menacées qui participent à des mouvements sociaux, action que pratiquent les «Peace Brigades International» depuis 1981, a un effet analogue. Au Guatemala, Rigoberta Menchu, (future) prix Nobel de la paix, n’a pu déployer ses activités que sous la protection d’un tel accompagnement international.

La vigilance constante de l’opinion publique internationale est le meilleur garant du respect des droits humains dans des situations conflictuelles. Or les médias commerciaux s’intéressent souvent plus à des images-choc qui font augmenter les ventes qu’à des reportages de fond. Les rapports continuels d’organisations indépendantes, telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch dans le domaine des droits humains, sont d’autant plus importants. Dans les régions en conflit, ce type de rapports constitue la seule source d’information aussi bien pour les parties au conflit que pour les acteurs extérieurs, informations indispensables pour trouver une issue dans une situation apparemment compromise. L’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) a reconnu la valeur de ces activités et cherche à étendre ses contacts avec les ONG. Finalement, c’est justement dans des situations de conflit que la diffusion du savoir et des pratiques de l’intervention non-violente devient centrale. Les cours de résolution des conflits et de médiation des «Peace Brigades International» en Haïti ont rencontré un tel succès que le programme a même été soutenu par l’Unité de promotion de la paix de l’ONU.

Se rendre sur place, observer, accompagner, rapporter et former, voilà des possibilités éprouvées d’action civile qui peuvent libérer les conflits de la spirale de la violence. Ces tentatives méritent enfin un soutien officiel dans le cadre d’un service civil volontaire pour la paix.


Interventionnisme

Le service civil volontaire pour la paix: un nouveau colonialisme au nom de la paix?

Toute action de solidarité internationale comprend une dimension d’ingérence dans les «affaires intérieures». Cela est vrai aussi pour les formes les plus élémentaires de la solidarité, comme le travail d’information, des campagnes d’envoi de lettres ou des manifestations de protestation.

La forme de l’ingérence est décisive. Les interventions militaires répondent généralement aux intérêts des puissances intervenantes. Les interventions des Etats-Unis en Amérique Latine et au Proche Orient, ou celles de la France en Afrique le montrent de manière évidente. Les conséquences sont désastreuses: même l’aide humanitaire est détournée à des fins de pouvoir dans ces cas. En se rapprochant à l’OTAN, la Suisse officielle veut suivre cette même voie sans issue. Mais si l’on veut vraiment se rattacher à la «tradition humanitaire» de notre pays, il faut développer l’inventivité politique et non pas la fidélité à une alliance militaire. Au siècle passé, la fondation de la Croix-Rouge était aussi un résultat de cette inventivité politique: aujourd’hui il faut aller plus loin. Le service civil pour la paix ne doit pas devenir l’instrument des intérêts politiques. Il ne s’agit pas de créer un «corps d’intervention rapide pour la paix» pour montrer combien la Suisse est solidaire et admirable.

Le GSsA poursuit un autre objectif: la «construction de la paix» est un processus exigeant, qui demande un engagement à long terme. Il n’y a pas de solution miracle. Mais plus les forces locales travaillant pour la paix et la justice et les volontaires du SCP pourront apprendre les uns des autres, plus ils seront en mesure de briser la spirale de la violence. L’initiative pour un SCP prévoit que les interventions civiles se fassent uniquement sur demande et en collaboration avec les populations locales. Une commission indépendante accompagne et évalue les engagements et la formation des personnes actives dans le SCP. Cela garantit que les buts et l’approche des organisations de base présentes dans le SCP ne soient pas détournés pour répondre aux intérêts de la politique de l’Etat.

La non violence et les interventions civiles présupposent l’accord des personnes concernées. Le SCP vise à développer des processus d’apprentissage mutuels qui permettent une meilleure approche des conflits.


Médiation

Un service civil pour la paix peut-il intervenir plus efficacement que la diplomatie traditionnelle?

Une intervention médiatrice peut aussi bien avoir lieu de manière préventive que pendant une crise ou un conflit. Certaines personnalités arrivent parfois à décrisper un conflit par leur intervention, comme par exemple l’évêque catholique Samuel Ruiz, qui joue depuis 1994 un rôle important dans les négociations pour la paix dans le conflit au Chiapas (Mexique).

Mais le poids diplomatique de la communauté internationale est souvent décisif lors des efforts de négociation. Le meilleur exemple est le succès du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan lors de la menace imminente de guerre dans le Golfe en février 1998. La médiation joue également un rôle important, en renforçant la confiance, dans les missions à long terme de l’OSCE (par exemple en Géorgie, Moldavie, Crimée, en Estonie ou en Bosnie-Herzégovine). Un Etat seul peut, lui aussi, pratiquer une politique de médiation efficace, au-delà d’une politique simplement opportuniste, comme le montre par exemple l’engagement de la Norvège pour le traité de paix entre Israël et l’OLP en 1993.

Cependant, ce type de politique diplomatique préventive se heurte rapidement à ses limites: les Etats n’ont, en règle générale, pas le droit de se mêler des "affaires intérieures" d’autres pays, ni d’agir sur le territoire de ceux-ci. C’est pourquoi les organisations non gouvernementales (ONG) peuvent jouer un rôle important, lorsqu’il s’agit de mettre en contact les différentes parties d’un conflit, de clarifier et définir des positions. L’organisation "International Alert", dont le siège est à Londres, noue des contacts entre différentes ONG locales, divers gouvernements et corps internationaux au Sri Lanka, au Cambodge ou dans la région du Caucase. Elle veut convaincre les participant-e-s de la nécessité de chercher ensemble des solutions constructives. La célèbre organisation russe pour les droits de l’Homme "Memorial" est intervenue entre des groupes arméniens et azéris, de même que -avec "Human Rights Watch"- dans le conflit de frontières entre Ingouchie et Ossétie.

Le service civil pour la paix crée de meilleures conditions pour les interventions médiatrices lors de conflits. Il combine les avantages de la diplomatie officielle et ceux des réseaux de contacts civils.


Prévention

La prévention des conflits n’est-elle qu’une utopie naïve?

Il y aura toujours des conflits — mais ceux-ci ne doivent pas forcément se dérouler de manière violente. La communauté internationale peut traiter les conflits avec des méthodes civiles avant que ceux-ci ne deviennent des guerres. Pour cela, il faut une volonté politique claire qui ne se soumette pas à des intérêts économiques. Des sanctions positives et négatives sont nécessaires envers chaque partie pour calmer les volontés de puissance et pour renforcer les groupes qui cherchent une issue pacifique de la crise. Un exemple, la Kosove: en l’absence du soutien de la communauté internationale, la résistance pacifique contre les discriminations des Albanais en Kosove est restée sans succès. C’est seulement quand s’amorce une escalade violente du conflit que l’OTAN, l’OSCE et l’Union Européenne envisagent des mesures concrètes.

Comme ce fut le cas dans la dislocation de la Yougoslavie, il semble qu’on veuille laisser se dérouler le conflit jusqu’à l’inévitable recours à des «forces d’imposition de la paix», pour bien montrer à quel point les militaires sont indispensables à la paix. En effet, la tradition diplomatique de la «communauté internationale» ne veut-elle pas qu’on déroule le tapis rouge aux principaux responsables de la violence et qu’on marginalise les parties conciliantes ne disposant pas de bataillons armés pour faire valoir leur point de vue? L’exemple de la «paix» imposée en Bosnie est connu: on a laissé l’escalade de la violence se poursuivre et finalement c’est la solution imposée par la force des armes qui a prévalu avec le résultat que l’on connaît (partage ethnique, entraves au retour des réfugiés, maintien au pouvoir des responsables des massacres).

Des organisations civiles ont développé une série de propositions concrètes de résolution des conflits: au cours des deux dernières années, des rencontres significatives ont eu lieu entre des représentant-e-s d’organisations non gouvernementales (ONG) de Kosove, de Yougoslavie et d’autres pays. Mais il leur manque les moyens et le poids diplomatique nécessaire pour faire passer leurs plans d’action dans la réalité politique. Ce qui montre que la reconnaissance rapide des foyers de conflits est certes nécessaire, mais qu’elle ne suffit pas à elle seule pour éviter une guerre. L’efficacité politique des instruments existants requiert des pressions officielles. L’espoir d’éviter la guerre repose donc sur les forces de la société civile. De chaque côté, existent des personnes et des groupements prêts à travailler ensemble à une solution politique afin d’éviter une guerre. Partis d’opposition, syndicats indépendants, organisations d’étudiant-e-s, groupes de lutte pour les droits civils, groupes de jeunes, toutes ces structures sont en contact étroit et constituent le fondement sur lequel des solutions politiques sont praticables. Des ONG internationales telles que le Balkan Peace Team (BPT) accompagnent et soutiennent ces forces autant que possible. Les activistes du BPT développent une «diplomatie à la base» entre Belgrade et Pristina: ils invitent des représentant-e-s d’organisations serbes en Kosove et organisent des rencontres avec des Albanais afin de promouvoir une compréhension et une confiance réciproques.

Il existe des moyens efficaces pour le règlement non violent d’hostilités imminentes: la reconnaissance rapide des conflits, le soutien et la mise en réseau de mouvements pacifiques locaux, ainsi que la présence d’organisations internationales et d’ONG qui mettent à disposition des forums de négociations. Le service civil volontaire pour la paix donne à ces tentatives une dimension supplémentaire.


Reconstruction

Aide matérielle accrue ou service civil pour la paix?

L’aide matérielle pour les victimes de conflits armés est importante, mais elle ne suffit pas à établir la paix. «Des ingénieurs» dit Hans Koschnick, ancien maire de Brême et administrateur de l’UE dans la ville bosniaque partagée de Mostar, «ne peuvent pas construire des ponts entre les gens. Pour cela il faut des services pour la paix.»

L’aide à la reconstruction sociale comprend davantage que l’observation internationale lors d’élections. Elle s’engage directement auprès des personnes. Ce n’est que par le dialogue au-delà des anciens fronts que des potentiels de violence peuvent être démantelés. A Mostar par exemple, les centres pour jeunes, ouverts autant aux jeunes bosniaques que croates, doivent fournir de tels espaces de rencontre. Ce projet-ci est soutenu par Terre des Hommes.

Autre exemple: sans médias indépendants, les sociétés marquées par la guerre ne peuvent trouver le chemin de la paix. De tels instruments sont nécessaires pour questionner la notion d’ennemi et pour opposer des propositions concrètes aux campagnes de haine et de désinformation pratiquées par les médias, souvent gouvernementaux. Les médias indépendants constituent une cible privilégiée d’extrémistes violents, comme le montre l’attentat de septembre 1995 contre la station populaire de radio et de télévision bosniaque «Studio 99». En Serbie, le gouvernement Milosevic les traite, en lien avec le conflit en Kosove, de «traîtres». Ils ont donc besoin de la solidarité internationale. Depuis décembre 1992, l’initiative privée suisse «Medienhilfe Ex-Jugoslawien» (Aide aux médias d’ex-Yougoslavie) soutient onze médias indépendants en Croatie, Bosnie-Herzégovine et en République yougoslave. Miodrag Perovic, de l’hebdomadaire monténégrin Monitor, note à ce propos: «Il est bon de savoir que le monde ne nous a pas oubliés.» Un SCP pourrait faire encore plus.

L’ONU et l’OSCE soutiennent les efforts pour la reconstruction sociale. Mais le travail concret est fourni le plus souvent par des organisations civiles qui ne sont pas tributaires d’intérêts gouvernementaux ou d’autres parties au conflit. En Croatie par exemple, la «Campagne anti-guerre» sensibilise l’opinion publique sur les raisons de la guerre et sur les alternatives possibles à la violence. Cette campagne favorise particulièrement le dialogue entre les habitants et les réfugiés de retour, par exemple dans la ville de Bilje, actuellement administrée par l’ONU.

Toutes ces démarches profitent du soutien de volontaires internationaux pour la paix. D’après l’appréciation de Hans Koschnick, «les organisations non gouvernementales ont énormément contribué à installer la confiance dans de la population. Elles étaient beaucoup plus proches des gens que moi. Nos gouvernements européens seraient bien inspirés de mieux soutenir ces organisations.» Le Service civil volontaire pour la paix est un excellent instrument dans ce contexte.

L’aide matérielle à elle seule n’élimine pas les origines d’un conflit. Si on veut la paix, il faut permettre le dialogue ouvert en favorisant les possibilités de rencontres et en soutenant des médias et des organisations indépendants. Le SCP offre le cadre approprié pour le faire.


Le SCP: un projet international

Le Service civil pour la paix: une nouvelle extravagance suisse ?

A travers le Service civil pour la paix, la Suisse peut renouer avec sa tradition humanitaire. L’idée n’est pourtant pas née au Gothard! Y ont contribué des groupes pacifistes, de femmes et de défense des droits humains du monde entier, de même que des organisations non gouvernementales internationales. Ces organisations ont fait, dans différentes situations de conflit, l’expérience de combien le travail non-violent pour la paix dépend de la présence et de la solidarité de volontaires internationaux. Le premier modèle de SCP a été présenté par l’Eglise évangélique de Berlin-Brandebourg en 1991 déjà. Entre-temps, des concepts analogues ont été discutés dans divers pays européens: en France, Italie et en Autriche des initiatives pacifistes et antimilitaristes ont été prises en faveur de tels projets; dans les pays nordiques et anglo-saxons ainsi que dans les Etats du Bénélux, c’est surtout la recherche académique pour la paix qui porte le SCP. Différentes rencontres européennes ont traité des possibilités d’un SCP au niveau européen, et le groupe parlementaire des Verts a déposé un projet au Parlement européen. Les expériences les plus concluantes ont été faites avec des équipes internationales mixtes. Aussi le SCP suisse travaillerait-t-il étroitement avec des projets semblables qui se développent dans d’autres pays.

Lorsque les problèmes et les défis ignorent les frontières, il faut dès le début penser les réponses politiques à un niveau international. Les propositions pour un service civil pour la paix dans les divers pays tiennent compte de cela. L’acceptation de l’initiative du GSsA par le peuple suisse serait un signal important en faveur de ce débat international.


Solidarité

Que signifie la solidarité?

Depuis peu, la «Solidarité» est devenue le mot passe-partout des anciens défenseurs de la Patrie. Le ministre de la défense Adolf Ogi cherche aujourd’hui à vendre l’armée de milice comme si elle était une sorte d’Armée du Salut, et même des militaristes invétérés comme le divisionnaire Gustav Däniker demandent un «Corps de paix suisse, qui pourra apporter du bon dans le monde». La commission Brunner aussi insiste sur la nécessité de développer la «solidarité». Mais solidarité avec qui? «Avec les pays dont les intérêts se confondent avec les nôtres», selon la formule proposée. Avec les riches du monde donc, pour maintenir sous contrôle toute «instabilité» qui menacerait leur position dominante. Mais est-ce compatible avec une vraie solidarité, qui doit viser la réduction des inégalités et l’entraide mutuelle des opprimé-e-s et des démuni-e-s, afin que toutes les populations du monde aient la possibilité de déterminer elles mêmes leur vie? Seule cette solidarité-ci peut pourtant contribuer à la prévention des conflits et non pas celle qui se développe entre les nantis, dans le seul but de maintenir leur situation privilégiée.

Le rapport de cette même commission recommande la création d’un «Corps suisse de Solidarité» composé de militaires, pour que la Suisse puisse enfin «s’engager dans un effort collectif en faveur de la paix qui témoigne de notre solidarité sur le terrain d’une façon visible et identifiable». On peut prévoir que les caméras TV seront gourmandes d’images de soldats suisses débarquant en armes quelque part dans le monde. Aujourd’hui l’image et l’impact médiatique priment sur le contenu, mais est-ce de cette solidarité-là qu’ont besoin les démunis de la planète? Qu’il soit permis d’en douter, d’autant plus que le rapport Brunner mentionne l’armée elle-même comme première bénéficiaire de cet engagement, non seulement du fait que celui-ci «stimulerait, à l’égard de l’armée, la motivation des jeunes citoyens», mais aussi parce que «l’expérience ainsi acquise lors d’opérations à l’étranger, au contact avec d’autres armées, dans des conditions de risques réels, se révèle très formatrice et, lorsqu’elle est reconnue et valorisée, peut faire progresser l’ensemble de la troupe». On croit rêver!

Dans des situations de conflit et de violence, l’action solidaire est souvent difficile, surtout lorsque ce sont les conditions de base de la vie qui sont en danger. Mais c’est justement ici qu’intervient le service civil volontaire pour la paix, pour augmenter les possibilités des gens démunis de lutter avec succès et de manière non-violente pour leurs intérêts, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Si la démocratie et les droits de l’Homme demeurent vraiment au centre de l’action internationale, alors un tel projet ne saurait rencontrer d’opposition et pourrait revêtir un caractère fédérateur.

Le rapprochement avec l’OTAN n’a rien à voir avec la «solidarité». La vraie solidarité vise au démantèlement ou à la prévention des relations basées sur la violence. C’est ça, l’objectif du SCP.


Violence - non violence

Pourquoi promouvoir l’action non violente?

On nous dit souvent que la violence et les guerres existeront toujours parce qu’elles ont toujours existé, parce que la nature humaine est ainsi faite. C’est le même type d’argument qui a servi pendant des siècles à justifier l’esclavagisme: les esclaves se trouvent dans leur condition parce que c’est inscrit dans leur «nature». La violence physique, directe contre des personnes ou des groupes n’est ni «naturelle» ni inévitable: elle résulte toujours d’un choix. De même, la violence indirecte est aussi un «produit social». Ce qu’on appelle «violence structurelle» résulte par exemple de l’exclusion ou de l’exploitation par des structures économiques injustes, ou d’une idéologie (politique, religieuse, culturelle) qui justifie la discrimination raciale ou sexuelle ou encore l’oppression de minorités culturelles. Plus les systèmes sociaux et économiques sont inégalitaires et d’autant plus ils favorisent l’utilisation de la violence par les puissants.

Choisir l’action non-violente pour se libérer de l’oppression et de la domination, c’est se soustraire au terrain de lutte privilégié par les puissants et très souvent c’est la seule voie possible. Non violence ne signifie pas impuissance. Ce sont des mouvements citoyens, agissant avec des moyens essentiellement non-violents, qui ont fait chuter le Mur de Berlin, aboli le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, libéré l’Inde de la domination coloniale. L’émancipation des femmes, bien qu’encore inachevée, est un autre exemple réussi de lutte non-violente.

Par quels moyens s’opposer aux effets néfastes de la globalisation néolibérale et au démantèlement social? Comment libérer le peuple tibétain de la domination chinoise, les paysans d’Amérique Latine de l’exploitation des propriétaires, la population algérienne de l’oppression militaire des groupes terroristes et de l’armée? Dans la plupart des cas, la lutte armée n’offre pas de chances réelles pour aboutir, soit parce que l’adversaire est beaucoup trop puissant, mais aussi parce que l’établissement d’un contre-pouvoir militaire efficace face aux superpuissances militaires de la planète créerait inévitablement de nouvelles structures de domination et d’oppression. «Nous n’aurons jamais la paix dans le monde avant de reconnaître que les moyens et les objectifs, le chemin et le but ne peuvent pas être séparés» (Martin Luther King).

Les alternatives doivent être développées au niveau des mouvements citoyens, pour aider les gens à vaincre le sentiment d’impuissance et à défendre leurs intérêts et leurs droits. Le service civil volontaire pour la paix est un instrument capable d’élargir les espaces pour l’action citoyenne sur le plan politique, social et économique.

Face à l’oppression et aux injustices, l’action non violente offre des possibilités qui restent très souvent inutilisées. Le SCP est une contribution à l’élargissement des espaces politiques d’action citoyenne.


Volontariat

Pourquoi le SCP n’est-il pas obligatoire?

La première approche en vue des engagements dans le SCP est ouverte à toute personne résidant en Suisse. Mais pour beaucoup d’aspects, le travail pour la paix est plus exigeant que d’autres services à la communauté. En particulier il demande une personnalité stable et une forte motivation. Les engagements du SCP ne nécessitent ni de jeunes aventuriers ni de Rambos en puissance. Ce qu’il faut, ce sont plutôt des hommes et des femmes avec de l’expérience professionnelle et une certaine maturité personnelle.

Surtout, on ne peut obliger personne au travail pour la paix. C’est en partant du volontariat que la créativité des engagé-e-s dans le SCP peut se développer et s’insérer dans le processus d’apprentissage nécessaire. Afin que tous et toutes aient les mêmes chances dans le SCP, l’initiative prévoit une indemnisation équitable pour le temps de service prêté.

A la différence de l’armée, le SCP agit non seulement sans armes, mais il renonce aussi à la contrainte de s’engager.


L’initiative pour le SCP en quelques points

L’action du SCP se ferait principalement à deux niveaux:

1) La formation, qui comprend deux domaines distincts: formation de base et formation spécifique.

La formation de base, ouverte à toute personne résidant en Suisse, permettrait de diffuser les connaissances et les pratiques de l’action non-violente en situations de conflit. Pour permettre un large éventail de possibilités à ce niveau, l’initiative n’a fixé ni la durée ni par qui cette formation sera dispensée. Elle pourrait être effectuée dans des écoles, auprès de mouvements de la société civile et d’organisations actives sur le terrain social et politique, de syndicats, etc.

L’accès à la formation spécifique et continue est réservé aux volontaires qui, selon les besoins du SCP, seront engagés pour des actions concrètes. Le contenu de cette formation n’est pas fixé dans le texte constitutionnel. Ici aussi, ce sera la commission indépendante qui décidera. Il existe des exemples de cette formation (voir le texte «Formation dans cet argumentaire). Elle devra en tout cas porter sur l’observation et la compréhension des conflits en général ainsi que des situations spécifiques (histoire, culture, contexte économique, social et politique) dans les lieux d’intervention. Ce sont des conditions indispensables pour l’action, individuelle et collective, sur le terrain.

2) L’action dans des situations de conflit.

Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, les interventions civiles ne se font que sur demande et en collaboration avec des acteurs locaux impliqués. Le SCP ne doit surtout pas devenir un «colonialisme pacifiste», où les interventions sont décidées unilatéralement. Les contributions du SCP à la transformation non-violente des conflits peuvent se faire avant, pendant et après leur éclatement violent. Elles comprennent la détection des situations de conflit; l’identification des conflits potentiels, la récolte et diffusion de l’information sur les causes des conflits; la prévention de l’escalade et de l’éclatement violent des conflits, la proposition de mesures politiques, économiques et sociales, la médiation, le soutien au processus de reconstruction de la paix et la reconstruction sociale.

Le SCP doit être financé par des moyens publics, mais la conception et l’exécution de ses activités sont assurés par une commission indépendante dont font partie les organisations de la société civile déjà actives sur le terrain (pacifistes, de défense des droits humains, antiracistes, féministes, environnementales, de soutien aux réfugiés, de coopération et d’aide au développement).

Parmi les activités possibles figurent l’observation et la promotion de la situation des droits humains; le soutien aux mouvements locaux de défense des droits humains; l’accompagnement de personnes menacées en raison de leur activité politique ou sociale ou simplement en raison de leur appartenance à un groupe opprimé; l’ouverture et l’entretien de réseaux pour l’information et les médias indépendants; le soutien à des initiatives citoyennes et à leur auto-organisation dans la construction d’une société civile démocratique.


L’an 2000

«Culture de la paix» ou «Armée 200x»?

Le besoin d’approches civiles pour la prévention des conflits et pour la construction de la paix n’est pas un postulat formulé uniquement par le GSsA et par d’autres mouvements pacifistes européens: en novembre 1997, l’Assemblée Générale de l’ONU a proclamé l’an 2000 «Année Internationale pour une culture de la Paix». Voici les buts principaux définis dans le Programme pour une culture de la Paix de l’UNESCO:

Avec les initiatives pour abolir l’armée et pour créer un service civil volontaire pour la paix, il ne s’agit pas de fantasmer sur des utopies, mais de mieux envisager les solutions aux vrais défis sociaux, économiques, écologiques et politiques d’aujourd’hui.

1 UNESCO, Bulletin Culture de la Paix, n. 2, avril 1997, Paris.