La nouvelle armée de « sécurité intérieure » et le GSsA

Le projet de « Développement de l’armée » mis en consultation il y a quelques semaines se réalisera autour du concept stratégique de «Réseau national de sécurité».

L’armée sera résolument tournée vers l’ «appui aux autorités civiles » pour la sécurité à l’intérieur face aux «nouvelles menaces» (terrorisme, catastrophes naturelles, immigration de masse, pandémies, troubles sociaux, …), tout en gardant quelques compétences dans le domaine de la défense militaire classique.

Le projet d’armée à l’étranger à échoué
Le projet de « sécurité par la coopération » internationale avec les armées occidentales s’est trouvé bloqué depuis le vote très serré de juin 2001 (51% de oui seulement, en raison de l’opposition conjointe du GSsA et de l’ASIN) sur l’armement des soldats suisses à l’étranger. Le coup de grâce pour le projet de coopération sécuritaire internationale est venu en 2009-2010 avec le rejet, par une majorité parlementaire composée de l’UDC, des Verts et d’une minorité de socialistes du projet de Micheline Calmy-Rey de participation de l’armée suisse à l’opération Atalante contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

Le virage de l’armée à l’intérieur
La réduction annoncée du nombre de chars, de canons d’artillerie et de places d’arme ne plaira guère aux tenants de la défense nationale traditionnelle. Pourtant, ces « pertes » seront compensées avec la dotation de tout un nouvel arsenal sécuritaire. Les camions blindés de transport de troupes prévus au programme d’armement 2013 et les nouveaux drônes (de fabrication israélienne) prévus au programme 2014 font déjà partie de cette réorientation. C’est aussi pour payer tout cet arsenal sécuritaire que la droite parlementaire est maintenant d’accord d’augmenter les dépenses militaires à au moins 5 milliards de francs par année.

Mais encore, le maintien de la conscription constitue le gage essentiel offert à la droite nationaliste. C’est là la raison principale du maintien des effectifs au chiffre de 100 000 soldats. La diminution des effectifs présentée partout comme « drastique » est toute relative. En effet cette diminution sera avant-tout le résultat de la suppression de la réserve actuelle (60 000 incorporés sur un total de 180 000). Les 100 000 soldats de la nouvelle armée suisse seront pratiquement aussi nombreux que ceux des armées belge, autrichienne, suédoise et norvégienne réunies. Le chiffre est important non pour l’efficacité de l’instrument militaire, mais parce qu’il légitime le service militaire obligatoire. Si les effectifs de l’armée suisse passent en dessous de 100 000, cela signifierait que moins de 50% des mâles suisses effectuent le service militaire. Aujourd’hui il est déjà assez facile de ne pas accomplir le service militaire (un cas emblématique : Roger Federer qui se serait fait réformer en invoquant un mal au dos…). Si une obligation qui devrait concerner tous les mâles suisses dans la réalité s’applique à moins de la moitié d’entre eux, elle n’est plus équitable et perd ainsi complètement sa légitimité.

L’action du GSsA
Avec le projet de « Développement de l’Armée » en grand appareil sécuritaire tourné à l’intérieur, les dérives sécuritaires sont programmées. La campagne du GSsA contre la nouvelle Constitution genevoise qui légitime explicitement le recours à « l’appui de l’armée » pour la « sécurité et l’ordre public » était malheureusement prémonitoire.

Les campagnes de votation du 22 septembre 2013 pour l’abrogation du service militaire obligatoire et le référendum prévu pour cet hiver pour empêcher l’achat des nouveaux avions de combat offriront la possibilité de critiquer non seulement les coûts exorbitants engendrés par le système de recrutement et l’aviation de guerre, mais aussi les logiques sécuritaires absurdes qui veulent faire croire que la sécurité de la population dépend en large mesure sur la disponibilité d’une armée aux effectifs nombreux et dotée d’armes sophistiquées.

L’action du GSsA s’est toujours basée beaucoup plus sur les positions de principe (pour le désarmement de la Suisse et du monde et pour la résolution des conflits avec des moyens non militaires) plutôt que de se laisser guider par la préoccupation de faire le jeu ou «servir la soupe» à l’un ou l’autre des camps des pro armée. C’était le cas avec l’opposition aux projets d’ouverture à l’étranger des missions de l’armée quand le GSsA donnait une même consigne de vote que la droite nationaliste. Aujourd’hui la suppression de l’obligation d’apprendre le métier de la guerre prévaut nettement sur un éventuel risque de « faire le jeu » de ceux qui voudraient remettre sur le métier un projet d’interventions de l’armée suisse à l’étranger.

Il reste au GSsA à convaincre, même à gauche, que le service militaire obligatoire ne constitue aucunement une « garantie démocratique » contre les dérives liées à l’engagement de l’armée pour la sécurité intérieure. La répression des mouvements sociaux par l’armée suisse au 19ème et 20ème Siècles (en premier lieu la grève générale de 1918) a montré que l’armée de conscription est un instrument tout à fait efficace pour mater des mouvements sociaux. En 1918 avec la quasi-totalité de la population masculine enrôlée dans l’armée, on a engagé des bataillons à forte composante rurale pour occuper les villes et tirer sur les ouvriers en grève. Aujourd’hui on voit mal les quatre nouveaux bataillons de policiers militaires « retourner leurs fusils » face à des manifestants ou à des immigré.e.s aux frontières. D’autant plus qu’une très large partie des jeunes avec un esprit critique face à l’autorité militaire font partie des près de 50% des jeunes qui aujourd’hui choisissent de ne pas accomplir le service militaire.

Tobia Schnebli

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