Les militaristes s’imposent

Début juin déjà, les rumeurs disaient que Viola Amherd conseillerait l’achat du F-35 de Lockheed Martin à ses collègues. Selon les médias, Ueli Maurer et Ignazio Cassis auraient fait part de leur inquiétude à ce propos. Cassis, pour sa part, aurait préféré un modèle européen. Lors de la conférence de presse du 30 juin, la cheffe du DDPS a mis finaux rumeurs : la Suisse achètera 36 F-35 pour plus de cinq milliards. JONAS HEEB

Parmi les avions de combat présents sur le marché, le F-35 est considéré comme la Ferrari.Pendant long temps, on s’attendait donc à ce que ce soit le plus cher. Il a donc été assez surprenant d’entendre que c’est ce modèle-là qui serait ressorti en tête des évaluations d’Armasuisse, l’office fédéral de l’armement. En effet, le mot d’ordre était que l’avion avec le meilleur rapport coûts-bénéfice devrait être acheté. Les rumeurs autour du modèle que choisirait le Conseil fédéral tournaient autour de Viola Amherd, mais également ses collègues. Ignazio Cassis, par exemple, aurait voulu un jet européen, surtout après l’abandon de l’accord-cadre et Ueli Maurer n’aurait pas été convaincu par l’acquisition de nouveaux avions, quel qu’en soit le modèle. André Blattmann, ancien chef de l’armée, aurait égale-ment été sceptique. Ainsi, il a plaidé pour l’achat de « seulement » 20 avions dans un document à l’intention de politicien·ne·s bourgeois·e·s. Si même un ancien chef de l’armée s’oppose à un projet d’acquisition, la situation est claire.

LA FERRARI L’EMPORTE
Le 30 juin, les rumeurs se sont transformées en faits avérés. Le Conseil fédéral a annoncé qu’il voulait bien acheter 36 nouveaux avions de type F-35. Thomas Süssli, le chef de l’armée, a mobilisé tous les scénarios catastrophe pour justifier l’achat de ces avions. Une fois de plus,cela montre que l’armée se trompe d’époque et qu’elle n’est pas capable d’identifier rationnelle-ment les menaces auxquelles nous faisons face. Nous sommes en pleine crise sanitaire, la crise climatique continue de s’aggraver et se manifeste à travers des crues catastrophiques, les inégalités sociales menacent fortement la stabilité et la sécurité dans le monde entier. La Suisse, elle, préfère dépenser des milliards pour des avions de combat de luxe complètement surdimensionnés.Avant la votation en automne 2020, celles et ceux qui défendaient les nouveaux avions de combat insistaient sur le service de police aérienne. Tout à coup, si l’on en croit Süssli, la Suisse a besoin d’avions qui dépassent les besoins de cette dernière, en d’autres termes, que l’on peut utiliser pour l’attaque.

Il a été dit et répété que le F-35 serait le modèle le moins cher, tant à l’achat qu’à l’entretien.D’autres pays européens qui s’étaient déjà procuré le jet se sont plaints de coûts additionnels très élevés, mais cela ne semble jouer aucun rôle pour la Suisse. Or, si l’on considère la situation aux Pays-Bas, au Danemark ou en Norvège, on se rend compte que ces dépenses additionnelles sont bien plus hautes que celles prévues dans le budget initial. Des haut·e·s gradé·e·s et des politicien·ne·s des États-Unis peinent à trouver des aspects positifs à l’avion américain, compte tenu des coûts et des problèmes techniques – mais leurs objections ont également été ignorées.

UNE JUSTIFICATION PEU CLAIRE
Ces arguments ne sont toutefois pas tombés dans l’oreille d’un sourd en Suisse. Même les défenseurs de l’armée ont émis des doutes quant au fait que le F-35 serait le meilleur modèle, et de surcroît le moins cher. Les documents qui justifient la décision laissent grandement à désirer en ce qui concerne la clarté de l’argumentation. Viola Amherd a minimisé tous ces doutes en renvoyant au devis des producteurs de l’avion de combat ainsi qu’à l’évaluation. À l’originede ceux-ci se trouvent des données confidentielles du producteur Lockheed Martin, ainsi que les appréciations d’Armasuisse. Il n’est donc pas surprenant que le F-35 ait obtenu d’aussi bons résultats, car tout le monde sait que l’armée donne la préférence à l’avion le plus moderne et à la pointe de la technologie. De plus,l’entreprise américaine n’aurait probablement pas intentionnellement mal vendu son produit. Reste à savoir pourquoi les coûts de la Suisse devraient rester plus bas que ceux des autres pays ayant déjà acquis le F-35. Un élément de réponse : personne ne peut garantir que les coûts resteront bien aussi bas.

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